Musée in-situs

Entre mobilité et authenticité de l’art : les défis des musées mobiles

3- EXPOSER DES OEUVRES IMMATÉRIELLES DANS UN MUSÉE MOBILE

Dans cette dernière partie, l’objectif est de programmer mon projet d’exposition au regard des réflexions établies lors du précédent article. Nous allons donc nous inspirer des questionnements vus précédemment, pour orienter la réflexion et essayer de trouver ce qui pourrait le mieux fonctionner pour un musée mobile sans en appauvrir le contenu et perdre son exigence. Nous allons également réfléchir à ce qui pourrait être exposé dans ce musée. Pour ce projet, je souhaite donc aboutir à un musée nomade qui se détache de ce que le musée classique propose et représente, et créer une expérience mobile qui soit un atout à la mise en valeur des œuvres exposées.

I) REMANIER LE MUSÉE MOBILE :

A) RE-QUESTIONNER LA MOBILITÉ DU MUSÉE MOBILE

Chercher à re–questionner la mobilité du musée itinérant revient à trouver des nouvelles manières de déplacer les œuvres, pour trouver quelque chose de plus novateur que simplement déplacer le musée ailleurs. En effet pour le projet de diplôme, l’enjeux serait que le musée ne soit pas seulement mobile dans son déplacement pour aller d'un lieu d'implantation à un autre, mais plutôt que cette mobilité soit vectrice de sens. Je pourrais alors initier mon projet nomade dans une réappropriation de la mobilité en réfléchissant à quelque chose de moins figé qu’un musée qui roule. Cela pourrait permettre de l’emmener dans des retranchements intellectuellement nouveaux.

Plusieurs pistes peuvent être envisagées. Par exemple, un musée itinérant qui reste en mouvement, même pendant la visite, offrant une expérience en constante évolution. Une autre option pourrait être de s'arrêter temporairement dans un lieu, à la manière d'un campement nomade. On pourrait également imaginer un musée qui s'installe simultanément dans plusieurs lieux, ou de façon éclatée, comme le concept d'Instant City¹. Enfin, la mobilité pourrait devenir un outil narratif, avec un parcours évolutif où chaque lieu visité apporte une contribution unique au récit global, grâce à des œuvres ou des interventions spécifiques, établissant un dialogue entre les lieux et les thématiques explorées.
Le musée Granet d’Aix en Provence propose une expérience d’itinérance différente au travers de son exposition “Jean Daret”. Ce n’est pas l'œuvre qui est mobile mais le visiteur. Cette exposition permet d’amener le public à visiter dans trois départements de Provence les œuvres du peintre au sein des églises des villes et villages, dans le cadre d’un parcours « hors les murs ». Cet événement permet de mettre en avant les peintures de Jean Daret, mais aussi de mettre en lumière la richesse patrimoniale d’Aix-en-Provence et de la région. Le public devient itinérant, et doit prendre part au concept s’il le souhaite pour aller voir une œuvre dans chaque lieu différent. Il se déplace à la rencontre des œuvres, il choisit son parcours, et il choisit les lieux qu’il veut visiter. Il peut en visiter un seul comme dix, ou même la totalité. C’est un parcours au-delà des frontières du musée, à l’échelle départementale. Nous pouvons aussi nous demander qui va faire des kilomètres pour voir un seul tableau exposé ? Et cette œuvre en vaut-elle le coup ? Ce qui est sûr, c’est que dans ce cas précis, l'œuvre ne perd pas sa valeur ou sa profondeur, elle est exposée seule et prend pleinement part de l’espace, avec un médiateur qui lui est dédié. Le visiteur ne viendra que pour elle, cela lui octroie un côté précieux.
Bien que ce projet ne soit pas un musée mobile, il apporte une vision nouvelle de la mobilité. Cette idée d’étalement de ce qui est exposé est intéressante mais il serait plus pertinent pour le cas de mon projet de la resserrer sur une échelle plus humaine, par exemple si elle est restreinte à une ville comme le projet fictif de l’Instant City, ou à un espace qui peut se parcourir à pied. Ce serait au designer de mettre en scène les œuvres du musée mobile dans les différents lieux qu'il investit.

En re-questionnant la mobilité au sein des musées mobiles, nous pouvons pousser le problème à son paroxysme et nous demander si l'œuvre ou les œuvres ne pourraient-elles pas se déplacer lors de l’exposition, pour confronter encore plus les œuvres avec l’espace. Pourquoi les musées mobiles que nous connaissons sont-ils fixe lorsqu’on les visite ? Le voilier de l’Art Explora reste à son quai et le MuMo reste à son parking. Ne pourrions-nous pas expérimenter un musée mobile lorsqu'il est réellement en mouvement , cela pourrait prendre encore plus de sens.

L'artiste Francis Alÿs, en collaboration avec le MoMa, a réalisé une performance qui est une procession d'œuvres d'art dans la rue. En juin 2002, 150 personnes se sont données rendez-vous devant le Musée d’Art Moderne (MoMA) de New York, s'élançant dans une marche collective en direction de l’autre MoMA, brandissant un Picasso, un Giacometti, un Duchamp et même une artiste ².

Morad Montazami, historien de l’art moderne et contemporain affirme que “La question n’est donc pas tant de voir en quoi la procession s’oppose unilatéralement au musée mais davantage comment le dispositif rituel se réapproprie (en le déjouant) le mode d’exposition muséal.”³ En effet ce cortège montre le besoin d’ancrer l’art hors des musées, à la portée de tous. Bien que ces œuvres ne soient que des reproductions car le MoMa n’a évidemment pas accepté de prêter ces œuvres originales, le message reste le même, ce geste symbolise une démocratisation de l'art et une réappropriation collective, tout en questionnant sa valeur lorsqu'il quitte son cadre institutionnel. Cela renforce l'idée de démocratisation culturelle, en rendant l'art visible et vivant hors des espaces muséaux classiques. Dans l'hypothèse d'exploiter cette idée de déplacement des œuvres pour le projet, cela permettra de redéfinir la mobilité non seulement comme un moyen de déplacement, mais comme une performance en soi, incarnant le lien entre l'art, le territoire et les communautés.

B) SE DEPLOYER DANS L’ESPACE

Un musée mobile qui pourrait se déployer et s’étaler sur le territoire qu’il occupe permettrait d’appréhender au mieux l’espace, de se l'apprivoiser et de ruser pour inviter le visiteur à découvrir ce qu’il s’y passe. Cette ruse devient ici un outil essentiel pour dépasser les barrières psychologiques et symboliques qui empêchent parfois les visiteurs d'entrer dans une institution muséale traditionnelle. Le plus dur pour un visiteur qui n’a pas l’habitude de rentrer dans les musées est de pousser la porte des institutions muséales, de faire le premier pas. En effet, si l'espace d’exposition est ouvert sur l'extérieur et se dévoile aux yeux des passants, quelque part c’est déjà une invitation par la ruse à la curiosité. Ce déploiement sur l'extérieur permet également d’avoir un ancrage plus fort avec le lieu qu'il occupe et de créer un dialogue nouveau avec celui-ci. Il s’agit de faire en sorte de ne pas répéter, à une échelle beaucoup plus petite, ce qu’on peut reprocher à un musée installé dans ses murs : la coupure avec l’espace extérieur. C'est là que réside la force de la ruse : ne pas forcer l'entrée mais susciter une envie presque involontaire, un élan naturel vers la découverte. Cette stratégie ne s'adresse pas seulement aux habitués des musées, mais surtout à ceux qui hésitent ou n'osent pas franchir les portes des institutions classiques.

#StayOut⁴ est une installation performative qui reflète bien cette idée de ruse, les passants en mettant les pieds dans l’espace environnement font déjà partie du public sans même le savoir. Cette installation questionne les habitudes en tant qu’individu en public, dans une société dystopique où les gens doivent vivre dans une bulle. Ce projet est composé de sept structures pneumatiques dans lesquelles sept performers jouent. Les bulles éphémères transparentes se déploient dans le paysage urbain et créent des espaces scéniques différents.

Les bulles établissent un dialogue entre les performers, les passants et l'environnement urbain. Leur transparence joue un rôle clé : elle rend visible l'intérieur et l’extérieur, tout en maintenant une frontière physique. Cette porosité visuelle permet aux spectateurs de s'approcher et d'observer, tout en les laissant à l'extérieur, dans une posture d'observateurs.

Ces installations impliquent activement le public. Les passants ne sont pas de simples spectateurs passifs, ils interagissent avec ces bulles. En transformant temporairement une rue, une place ou un parc en une scène vivante, elles modifient la perception de ces lieux, qui deviennent des espaces de réflexion et de rencontre. Ainsi, ces installations ne se contentent pas de s’ajouter au décor urbain, elles en deviennent une extension critique et un questionnement collectif.

fig 24 : Investir l’espace public

Diverses approches peuvent être envisagées pour établir un dialogue et une interaction avec l'espace. Notamment la transparence qui permet de créer un espace poreux qui s'intègre et communique directement avec l'environnement extérieur.Ou concevoir un espace sans murs ni toit, qui pourrait être une structure immatérielle définie uniquement par des marquages au sol ou des délimitations. Cette approche briserait les frontières, invitant à la découverte et à la rencontre.Ou encore imaginer une structure itinérante qui pourrait s'adapter de manière physique aux lieux qu'elle visite, par exemple avec des modules qui peuvent être réassemblés différemment selon le site pour offrir des expériences variées et uniques à chaque étape.

C’est cette façon de se déployer et de déborder sur l’espace public en plusieurs modules que je souhaite ré-interpréter et prendre comme source d'inspiration pour orienter mon projet de diplôme. C'est-à-dire imaginer un musée mobile qui ne se trouve pas seulement dans un espace clos, mais qui s’intègre pleinement à son environnement d’implantation, offrant à chaque lieu une expérience unique et renouvelée.

C) RE–QUESTIONNER LE TERME “MUSÉE”

Pour réfléchir à un musée qui ne soit pas un espace clos refermé sur lui-même, peut-être faudrait-il re-questionner et requalifier ce terme de “musée”, en réalité mon projet se dirigera certainement plus vers un “centre d’art mobile”. Un musée conserve et expose des collections permanentes, souvent historiques, avec une mission de préservation et de transmission. Mais lorsque la mobilité entre en jeu, la conservation n’est plus vraiment optimale. Cependant, à l’inverse les centres d'arts mettent l'accent sur l'expérimentation et les expositions temporaires. Le centre d’art est plus comme un laboratoire expérimental, il n’y a pas de conservation sur le long terme.

Le Château La Coste, situé en Provence près d'Aix-en-Provence, est un domaine viticole unique où l'art, l'architecture et la nature se rencontrent. Le fait que ce soit un centre d'art, et non un musée, change profondément la manière dont les visiteurs interagissent avec le lieu. En tant que centre d'art, il se concentre sur l'art contemporain et l'expérimentation, ce qui permet une programmation flexible, ouverte à des œuvres éphémères, des installations temporaires et des collaborations avec des artistes.

Ce statut lui permet également de désacraliser l'expérience de l'art. En intégrant les œuvres dans un parcours naturel et architectural, le Château La Coste abolit la distance traditionnelle entre l'œuvre et le spectateur. Les visiteurs peuvent toucher les œuvres, sur certaines ils peuvent même marcher dessus, il n’y a pas de vigiles présents sur le parcours. Ici, l'art se vit en mouvement, au sein d'un cadre quotidien et vivant, loin des codes parfois intimidants d'un musée classique. En tant que centre d'art, le Château La Coste s'affranchit des contraintes de conservation d'une collection permanente pour privilégier l'innovation et la rencontre directe entre les œuvres, le paysage et les visiteurs.

fig 18 : nouvelle recette du musée mobile

fig 19 : Plan d’implantation des tableaux de l’exposition Jean-Daret par le musée Granet d’Aix en Provence

fig 20 : Francis Alÿs The Modern Procession, 2002 -

fig 21 : The Public Art Fund et le Museum of Modern Art, New York. Documentation vidéo par Rafael Ortega

fig : 22 #stayOut par plastic fantastique - photo : Marco Canevacci

fig 23 : Concept, chorégraphie, scénographie : Plastique Fantastique / Marco Canevacci und Yena Young

I) REMANIER LE CONTENU
A) LE CHOIX CURATORIAL EN FONCTION DE LA MOBILITÉ

Comme nous l’avons souligné dans l’article précédent, l’adaptation des œuvres à la mobilité implique de trouver des œuvres qui peuvent être transportées, au vu de leur conservation, de leur fragilité, des assurances ou alors de concevoir des œuvres spécialement pour qu'elles puissent être exposées dans des contextes nomades. Cette adaptation peut toucher à la fois le format de l'œuvre, les matériaux utilisés, l'accessibilité et les modalités d'interaction avec le public. Mais il y a un risque d'appauvrir la qualité de l'œuvre exposée en l’adaptant. Une œuvre mobile doit être facilement transportable, légère et pour être exposée dans des lieux variés.
Exposer du contenu immatériel ou utiliser des technologies numériques facilite grandement l’exposition d'œuvres adaptées à la mobilité, comme l’utilisation de projection, de mapping, d’applications mobiles, de la réalité augmentée/virtuelle, des podcasts et audio guides, mais cela dénature l'œuvre originale.

Nous pouvons à présent nous demander si la solution ne serait pas d’exposer des œuvres immatérielles, intangibles, ou encore conceptuelles. Elles peuvent prendre la forme de performances, d'installations sonores, d'expériences numériques, d'idées conceptuelles, de récits oraux. Contrairement aux œuvres matérielles (comme une peinture ou une sculpture), l'œuvre immatérielle existe dans le temps et l'espace où elle est vécue, nécessitant souvent la participation ou l'interaction du spectateur pour être pleinement réalisée. Par exemple une performance artistique ou une œuvre musicale, n'a de réalité que lorsqu'elle est exécutée.

L'UNESCO⁵ dispose d'une section dédiée au patrimoine mondial immatériel, qui vise à protéger et valoriser les traditions, expressions culturelles, musiques et savoir-faire représentatifs de l'identité et de la diversité des communautés humaines.

Dans le cas de mon projet d’exposition, je souhaite exposer des œuvres qui soient par essence immatérielles, mais pas n’importe lesquelles, j’ai fait le choix d’exposer de la musique classique, et créer un “musée” qui s’écoute. La musique classique est un art immatériel, elle repose principalement sur des sons et des interprétations plutôt que sur un objet matériel fixe. Une partition ou un instrument sont des supports matériels, mais l'œuvre elle-même prend vie uniquement lorsqu'elle est jouée et entendue. Elle est éphémère, ne se manifeste que dans l'instant de sa performance, et dépend de l'interprétation des musiciens et de l'écoute du public.
Au niveau de l’implantation et de l'ancrage territorial, il pourrait y avoir une spatialité et une scénarisation différente en fonction de chaque lieu. En effet, l’expérience itinérante exploitera en partie la culture musicale locale, ainsi que des musiciens locaux. Ce projet musical itinérant pourrait se déployer dans l’espace public et venir se poser dans des lieux qui sont à l'opposé de ceux dédiés à des représentations de concerts classiques. Il est nécessaire qu’il s’implante dans des lieux de passage stratégique comme par exemple des stades de foot, des parkings de supermarché, des lieux de randonnée très fréquentée.

III) EXPOSER L'IMMATÉRIEL

A) LA MUSIQUE CLASSIQUE

Choisir la musique classique n’est pas anodin, elle s'efface peu à peu de nos cultures et, au fil des décennies, son audience ne cesse de diminuer. En mettant en avant la musique classique de nos jours, nous ne faisons pas seulement revivre le passé, mais nous pouvons enrichir le présent et préparer un futur culturellement et émotionnellement plus riche. Dans un monde dominé par le rythme effréné et les distractions numériques, la musique classique invite à une pause, et à une écoute attentive.
Exposer de la musique porte aussi sens du point de vue de la mobilité. Ce sont des œuvres sonores, il n’y a pas nécessité de les modifier pour les adapter aux contraintes dues aux transports, elles ne pourraient être ni appauvries, ni copiées. De plus cette mobilité permet de créer des rencontres inédites avec les personnes qui croiseront les chemins de cette expérience auditive nomade.
En effet, il y a une réelle urgence de mettre en avant le classique auprès d’un public varié. Le Président du festival des Musicales du Luberon affirme que “ Nos salles sont remplies de têtes grises “⁶ en parlant du public qui se rend à ses concerts classiques. Selon l’étude de 2015 du sociologue Stéphane Dorin, le vieillissement du public de la musique classique s’est accéléré ces dernières années. « En 1981, l’âge médian de ceux qui allaient aux concerts de musique classique était de 36 ans. Plus de 30 ans plus tard, il est de 61 ans en France. »⁷ . Il relève aussi que «74,1 % de l’échantillon d’auditeurs interrogés possèdent un diplôme supérieur ou égal à la licence » resserrant d’autant plus le cercle des élus et la difficulté d’y accéder. Nous pouvons établir le constat que le public de ces concerts peut être définie comme vieillissant et éduqué.
Les concerts de musique classique répondent aujourd’hui à un rituel, strict, presque religieux, tout est en retenue, empli de silence, le public est assis sur sa chaise, n’osant pas bouger ni même tousser. Emmanuel Quinchez souligne qu’il y a une “rigidité de la mise en scène, mais également du programme, souvent le « grand répertoire », par peur de perdre un public acquis, lui-même jalousement attaché, justement, au rituel même du concert classique”.
Alors que jusqu’au 19e siècle, la musique classique était tout sauf figée, c’était un moment festif, le public parlait, buvait, riait, dansait lors des représentations.

C’est en ce sens que j’aimerai poursuivre la suite de ma réflexion, et proposer une expérience mobile qui casse les codes de la musique classique et apporter différentes manières de l'écouter, de l’expérimenter, pas seulement en restant assis sur une chaise, afin d’attirer un public curieux, nouveau et de tout âge. Le fait que le projet soit nomade permet de se rapprocher au plus près des visiteurs. Ce projet se situera à mi-chemin entre une exposition et un concert. Mêlant à la fois des pièces audios et des représentations. Créant un lieu pour écouter un concert mais aussi découvrir de l’histoire de la musique.
Pour ouvrir les frontières, il serait stratégique de créer pour le projet plusieurs modules qui peuvent se déployer dans l’espace tels des campements nomades. Chacun de ces modules permettra d'appréhender la musique de manière différente. L’étalement des structures dans l’espace a pour but de cueillir les passants et les inviter à découvrir le classique. Les visiteurs ne seront pas freinés par le fait de pousser les portes d’une institution, car il n’y aura tout simplement pas de porte.
Au niveau de la mobilité, les instruments des musiciens sont dotés d’une housse pour le transport, rigide et imperméable, ils peuvent être déplacés sans soucis, ce qui n’est pas le cas des instruments historiques.

Pour le futur projet il n’est pas prévu d'exposer d'instruments historiques, sachant qu'ils ne peuvent généralement pas être joués par les musiciens. La Philharmonie⁸ de Paris, par exemple, a créé une banque de données regroupant les enregistrements de ses instruments. Une grande partie des audio présentés sont des fac-similés, car il est trop risqué d'utiliser les originaux, désormais reconnus comme de véritables œuvres d'art.
Le problème qui peut être rencontré lors de la mobilité est celui de l'acoustique qui sera moins maîtrisée. Le rôle du designer est important pour permettre à la structure mobile de renvoyer au mieux le son. Pour des concerts en plein air, il faut au moins une paroi derrière les musiciens pour avoir une bonne acoustique pour les auditeurs. Ou alors que les auditeurs soient proches des musiciens.

B) DÉMOCRATISER LA MUSIQUE CLASSIQUE

Tout au long de mon mémoire j’ai réfléchi à comment exposer sans dénaturer le message profond et la complexité de l'œuvre, tout en critiquant le fait d’adapter l’art.
Cependant pour exposer la musique classique ce n’est pas tout à fait le cas, en effet la musique n’est pas figée comme l’est un tableau, alors la réinterpréter ne devrait pas la dénaturer. Tout comme le metteur en scène propose sa propre interprétation d’une pièce de théâtre, le chef d'orchestre ou le musicien apporte également sa vision personnelle.
J’ai choisi de mettre en avant le classique dans mon expérience mobile pour la rendre plus accessible à tous, et surtout varier les âges des auditeurs, sans dénaturer son authenticité. Néanmoins, pour découvrir la musique classique sans avoir grandi dans un milieu élitiste imprégné de cette culture, il est également possible d'y accéder grâce à la vulgarisation.
Si quelqu'un découvre Beethoven à travers la version disco de la 5ème symphonie, dans Saturday Night Fever⁹ , tant mieux : cela pourrait l'amener à écouter Carlos Kleiber diriger l'Orchestre Philharmonique de Vienne dans cette œuvre. En langage musical cela s’appelle le cross over ¹⁰ , il n’est pas question d’abandonner l’authenticité du classique ou de la musique disco, mais plutôt d’écouter ces deux styles d’une façon nouvelle et plus contemporaine. Cette réinterprétation et ce mélange d'éléments du passé constituent une forme de postmodernisme ¹¹ .
Nous pouvons prendre également l’exemple du pianiste Lang Lang¹² à la renommée internationale qui, à un an et demi, découvre le piano et la musique classique en regardant des dessins animés dont un épisode de Tom et Jerry intitulé Le Concerto du Chat¹³ (incluant la Rhapsodie hongroise no 2 de Franz Liszt). Ou encore les personnes du monde entier qui ont écouté la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel lors de l’ouverture des Jeux Olympique 2024 qui reprenait la marseillaise de manière lyrique.
En effet, pour entrer dans la musique classique par la vulgarisation, les exemples sont nombreux, nous pourrions aussi parler de Star Wars ¹⁴, Pierre et le Loup ¹⁵, Shining ¹⁶, les Chroniques de Bridgerton… les exemples sont nombreux. Nous ne pouvons nier qu'écouter de la musique classique, même dans les contextes les plus simples, puisse être bénéfique.
Ce projet soulève des enjeux de mise en scène intéressants à exploiter dans la scénographie. L'intégration de pièces vidéo ou de projections pourrait notamment mettre en lumière des extraits illustrant la démocratisation de la musique, comme Saturday Night Fever ou encore Tom et Jerry.

C) COMMENT EXPOSER LA MUSIQUE CLASSIQUE

En musique, l'œuvre originale est généralement considérée comme la partition originale, car elle contient les intentions du compositeur : les notes, les indications rythmiques, dynamiques et expressives. Chaque interprétations (enregistrement ou concert) peuvent être vue comme une réalisation artistique autonome. C’est pour cela qu’il est plus aisé de vulgariser ou d’adapter la musique classique que l’art. Contrairement à une œuvre d'art, qui est un objet fixe, la musique existe pleinement dans l'instant où elle est jouée, offrant une expérience renouvelée à chaque exécution. Cette nature flexible et vivante de la musique classique facilite sa vulgarisation et son adaptation.

fig 25 : écouter la musique classique autrement
La Cité de la musique ¹⁷ de la philharmonie de Paris possède une programmation très inclusive et novatrice dans son musée. Elle propose des médiations musicales avec des visites guidées en chanson comme avec Grégoire Ichou¹⁸, chanteur lyrique et guide-conférencier, qui convie à vivre une expérience vivante et originale, en faisant résonner sa voix de ténor au cœur du Musée de la musique. Chaque jour, des musiciens viennent jouer au cœur de la collection permanente et dialoguent avec les visiteurs.
Ils ont également des ateliers sensoriels dans lesquels les visiteurs sont invités à découvrir autrement la collection du Musée (Identifier différents matériaux par l’odorat ou le toucher, reconstituer des instruments à l’aveugle, écouter sans les oreilles, partager un moment musical).
L'intérêt serait de rendre mobile ce type de médiation et de les additionner à la mobilité. Cela dynamise l’exposition et donne vie à ce qui est présenté. En prenant exemple sur ces médiations de la musique classique, mon projet pourrait prendre une forme mobile nouvelle et plus accessible, permettant de susciter les dialogues et de sortir de l’exposition traditionnelle tout en étant plus expérimentale.

Je souhaite aller au-delà du concept classique d'un "musée qui roule" (un espace d'exposition mobile, mais relativement rigide dans sa structure ou sa fonction). L'objectif est de repenser la mobilité pour créer quelque chose de plus fluide et adaptable, qui permette d'explorer de nouvelles perspectives intellectuelles, artistiques ou culturelles, mais en gardant toujours en tête de ne jamais dénaturer le sens profond de ce qui sera exposé. Et pourquoi pas créer une “Philharnomade” ou une Philharmobile.

Concert-Promenade cité de la musique 2017 - fig 26: ensemble stingo music club, ensemble la tempête -

fig 27 : musicien au musée Gil-Lefauconnier

CONCLUSION

Dans ce mémoire nous avons cherché à explorer les défis et les opportunités liés aux musées mobiles, en interrogeant leur capacité à préserver la profondeur et l’exigence de l’art tout en s’adaptant aux contraintes de la mobilité. À travers l’analyse de cas concrets et de réflexions théoriques, nous avons mis en lumière l’importance de concevoir des dispositifs qui ne se contentent pas de déplacer des œuvres, mais qui exploitent pleinement le potentiel d’interaction avec les publics et les lieux traversés.

Nos recherches ont montré que si les musées mobiles permettent de démocratiser l’accès à l’art, ils ont souvent une approche plus simplifiée et plus réduite qu’un musée classique. Malgré leurs nombreux avantages, les musées mobiles présentent certaines limites. Leur taille réduite et leur caractère itinérant imposent des contraintes de conservation, limitant le nombre d’œuvres exposées et la qualité de l’expérience. De plus, leur dépendance au financement et leur accessibilité restreinte peuvent compromettre leur pérennité et leur capacité à atteindre tous les publics visés. Ainsi, bien qu'ils offrent une belle opportunité d'accès à la culture, ces musées doivent relever plusieurs défis pour pleinement réussir leur mission.

La scénographie et les choix curatoriaux dans les musées mobiles doivent être conçus avec une réflexion attentive : il s’agit de permettre aux œuvres de s’adresser aux spectateurs sans les dénaturer, en respectant le message que l’artiste à donné à son œuvre tout en facilitant leur compréhension. La médiation joue un rôle crucial dans ce processus, elle peut enrichir l’expérience du visiteur et favoriser les interactions.

La question de l’adaptation de l’art à tous reste un débat central : l’objectif est de démocratiser l’art sans pour autant le réduire à une forme simplifiée ou accessible à tout prix. À travers des exemples comme celui de l’Inside Out de JR ou les œuvres « in situ », il devient évident que le lien entre art, espace et public peut se réinventer à chaque escale d’un musée mobile, sans altérer le message de l’artiste.

Ainsi, le musée mobile peut offrir une réponse originale et adaptée aux défis contemporains de l’accès à la culture. Son caractère éphémère et sa capacité à interagir avec les spécificités du lieu dans lequel il s’installe ouvrent de nouvelles perspectives pour le design d’exposition. Cette mobilité doit être pensée comme un véritable atout créatif, transformant la contrainte du déplacement en une expérience enrichie, en faisant dialoguer l’œuvre, l’espace et les visiteurs de manière singulière.
En somme, l'objectif pour le projet sera repenser la mobilité pour créer quelque chose de plus fluide et adaptable, qui permette d'explorer de nouvelles perspectives intellectuelles, artistiques ou culturelles, mais en gardant toujours en tête de ne jamais dénaturer le sens profond de ce qui sera exposé . Adapter une œuvre ne doit pas signifier en simplifier le message au point d'en altérer la richesse ou la profondeur. La vulgarisation peut être une porte d'entrée précieuse pour toucher un public plus large, mais elle ne doit pas conduire à déformer ou réduire l'essence même des œuvres. Préserver leur intégrité tout en les rendant accessibles est essentiel pour respecter l'intention des artistes et offrir une expérience authentique et enrichissante au public.

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Remerciement et sources

1vu dans la partie 1 du mémoire
2 L’artiste Kiki Smith était assis sur un palanquin tout au long de la procession.
3 Morad Montazami, « La Modern Procession de Francis Alÿs ou l’œuvre d’art à l’ère de son rite de passage », Techniques & Culture [En ligne], 64 | 2015, mis en ligne le 24 décembre 2018, consulté le 26 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/tc/7587 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.7587
4 Plastique fantastique, consulté le08/12/24 https://plastique-fantastique.de/StayOut-berlin
5 Le patrimoine mondial de l'UNESCO désigne des sites culturels, naturels ou mixtes reconnus pour leur valeur universelle exceptionnelle, inscrits sur une liste établie par l'UNESCO depuis 1972 dans le cadre de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel.
6 Énoncé par Patrick Canac lors de mon stage au festival de Musicales du luberon, été 2024
7 Déchiffrer les publics de la musique classique – Stéphane Dorin – 2018 – p16
8 Philharmonie de Paris, institution dédiée à la musique et aux arts sonores, située à Paris, France
9 A fifth of Beethoven https://youtu.be/KSXC_lPWoyo?si=B1g_YYC8xwjDyuhy
10 Le crossover (ou chiasmatypie) désigne une hybridation ou un croisement entre un genre musical et un autre, voire plusieurs autres (par ex. : musique classique et jazz ou jazz, rock et latin music).
11 En musique, le postmodernisme (fin du XXe siècle) est caractérisé par le rejet des règles rigides et des conventions du modernisme. Il se manifeste par un mélange des styles musicaux, une ouverture à la culture populaire et une approche éclectique qui brouille les frontières entre tradition et innovation. Le postmodernisme en musique valorise la citation, le pastiche, l'ironie et l'expérimentation, tout en remettant en question les notions de hiérarchie culturelle et d'autorité artistique.
12 Lang Lang, né le 14 juin 1982 à Shenyang, est un pianiste chinois de renommée internationale.
13 Tom and Jerry - The cat concerto- a Rhapsodie hongroise no 2 de Franz Liszt https://youtu.be/CtLpv6huG3A?si=19kk-HMGWH97k6iM
14 Jhon Williams & Vienna Philarmonic - Imperial March ( Star Wars )https://youtu.be/vsMWVW4xtwI?si=hDgk9pul6W0uTXFK
15 Une nuit de Sabbat de la Symphonie fantastique par Hector Berlioz https://youtu.be/-XY5lLMimVc?si=ZxT6AAmwuM1xyXT9
16 Cité de la musique, la Vilette, Paris, https://philharmoniedeparis.fr/fr/decouvrir/cite-de-la-musique
17 Ténor et guide-conférencier, Grégoire Ichou propose depuis cinq ans des « visites chantées » dans des institutions culturelles.

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